Horizon(s), l’exposition des 40 ans
17.09.2022 — 23.04.2023
Frac Grand Large — Hauts-de-France
Le Frac Grand Large fête son 40e anniversaire.
40 ans de collaborations régionales avec des partenaires de Dunkerque et d’ailleurs.
Avec les œuvres de : Marie Bourget, Charley Case, Christine Deknuydt, Hans Haacke, Ali Hanoon, Paul Hemery, Ilanit Illouz, Roy Lichtenstein, Helen Mirra, Erez Nevi Pana, Ria Pacquée, Frank Perrin, Catherine Rannou, Joachim Schmid, smarin, UZÉS, Capucine Vever
« Notre sens de l’orientation traditionnel – et donc nos conceptions modernes de l’espace et du temps – reposent sur une ligne stable : la ligne d’horizon. La stabilité de cette ligne dépend de celle d’un observateur censé se tenir sur un sol quelconque, un bateau, une plage – une surface qui sera supposée stable même si elle ne l’est pas vraiment. »
Hito Steyerl*
Nous avons invité trois musées dunkerquois : le LAAC, le musée du Dessin et de l’Estampe Originale de Gravelines et le Musée portuaire à participer à cette exposition anniversaire.
Depuis 40 ans le Frac Grand Large a acquis une réputation internationale par la qualité de sa collection, près de 2000 œuvres qui irriguent la région dans les écoles, les musées et des lieux associatifs. Aujourd’hui, plusieurs centaines d’œuvres sont exposées chaque année dans des projets co-construits avec les partenaires : des groupes d’enfants ou d’étudiants, des équipes municipales ou des acteurs du champ social deviennent commissaires des expositions.
Pour « Horizon(s) », l’équipe du Frac et celles des musées dunkerquois ont choisi ensemble, dans leurs collections, des œuvres faisant écho à la spécificité de notre littoral, à la croisée des chemins et des routes maritimes. L’horizon est intimement lié à l’histoire de l’art. En attribuant une place au regardeur, ses représentations révèlent une vision du monde qui s’est construite et a évoluée au fil du temps. Comment les paysages se reflètent-ils dans nos collections ? Qu’est-ce qu’ils disent de notre histoire ? Comment l’horizon réinventé par les artistes peut-il contribuer à transformer notre regard sur le monde et sur la société ?
L’exposition réunit des œuvres acquises par le Frac (depuis le premier comité technique en 1983 jusqu’en 2021), des œuvres d’artistes réalisées à Dunkerque lors de résidences (Charley Case au musée de Gravelines, Ria Pacquée au LAAC, Catherine Rannou au Frac) et des objets documentant l’activité balnéaire de Malo-les-Bains (Musée portuaire).
Avec des pièces uniques ou en série, d’artistes reconnus ou de créateurs anonymes, l’exposition invite à développer une réflexion commune sur un horizon mouvant. Embrassant la réalité d’un présent instable, êtes-vous prêts à vous perdre et à rêver de nouveaux horizons ?
Les pieds dans le sable
Appréciée pour son immense plage de sable fin, Malo-les-Bains devient à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, la destination balnéaire préférée de riches familles d’industriels lillois et parisiens en quête d’air marin. Cet attrait est facilité par le développement exponentiel des chemins de fer à la même période. L’attractivité touristique de la commune offre une opportunité économique inattendue puisque des chevriers venus du Cantal y vendent alors leur lait aux plagistes.
Au tournant du XXe siècle, la plage apparait comme le lieu des vacances et de loisirs par excellence, offrant un terrain de jeu parfait pour les enfants venus construire des châteaux de sable munis de pelles et seaux en bois. Si cette image d’Épinal des bords de mer, est reprise malicieusement par le pop artiste Roy Lichtenstein avec le Folded Hat, l’activité s’y diversifie : la balade au bord de mer s’agrémente de la baignade et d’aires d’amusement.
L’artiste Joachim Schmid collectionne les photographies de ce siècle, notamment amateurs, afin de dépeindre une société en mouvement. Toujours plus d’activités apparaissent, ici le jogging et les sports nautiques, tandis que les étendues de sable fin prennent des allures de parcs d’attraction. Et les châteaux de sable demeurent.
La nuance de l’immatériel
De nature insaisissable, le bleu évoque dans l’imaginaire commun l’eau et le ciel, ici aussi bien l’installation Blue Sail [voile bleue] de Hans Haacke que la sélection de dessins bleus sur papier jaune sable de Christine Deknuydt jouent de ce registre.
Au centre de l’espace d’exposition, le voile flottant dans les airs est une œuvre de jeunesse de l’artiste allemand Hans Haacke acquise en 1985 par le Frac. Proche du groupe Zéro et tout particulièrement d’Yves Klein et de Piero Manzoni, il travaille alors à la mise en œuvre de phénomènes naturels. La simplicité de ce dispositif, aussi bien aérien que marin, procure à l’œuvre une dimension contemplative et méditative.
Artiste née et formée à l’école d’art de Dunkerque, Christine Deknuydt est l’auteure d’une pratique picturale donnant liberté évolutive à la matière. De son œuvre importante, composée de plusieurs milliers de peintures et de dessins, léguée par la famille de l’artiste aux musées de Dunkerque et au Frac Grand Large notamment, cette sélection bleue incarne les notions de trace et d’incertitude.
Peut-être verrons-nous dans ses dessins formes aquatiques et figures des fonds marins. C’est le fruit poétique d’une recherche expérimentale portée sur les aplats dilués et l’inattendu. Pour elle, la figure animalière est « comme un lien entre l’image et le vide. Ce sont les images mentales par excellence ». À la manière d’une laborantine, Christine Deknuydt observe les réactions de matériaux chimiques combinés entre eux et au contact de leur support, en l’occurrence le papier.
Ligne de mer
La représentation du paysage peut se réduire à l’expression de ses formes les plus simples, comme la linéarité de l’horizon, particulière au littoral dunkerquois. Sa perspective trouve sa source dans le quartier du Grand Large et s’éloigne en direction de la Belgique.
Avec l’assemblage Coastline (folded) [la ligne côtière (pliée)], Helen Mirra a choisi de disposer côte à côte deux couvertures militaires américaines. La bleue appartient à la Marine, tandis que la verte est issue de l’armée de Terre. Cette dernière repose sur un pan de la couverture bleue. Si ce léger relief n’est pas sans rappeler le profil des dunes du Nord, il trouve aussi une résonnance particulière avec une succession d’épisodes militaires. Ville portuaire des Flandres et frontalière avec l’Angleterre, Dunkerque a notamment traversé la guerre de Cent Ans
(1337-1453), la bataille des Dunes (14 juin 1658), de l’Yser (1914) et la Seconde Guerre mondiale marquée par l’opération Dynamo (1940).
Fruit des déambulations de l’artiste sur le territoire dunkerquois, la production photographique de Ria Pacquée est quant à elle davantage empreinte d’une contemporanéité mystérieuse. Cette série propose un cadrage sur les aménagements estivaux de la digue de Malo. L’artiste propose de nouvelles réalités à travers la présence incongrue de mats et poteaux colorés venant casser, par leur verticalité, la ligne de mer.
Un paysage de sel
Réputée depuis l’Antiquité, pour les vertus thérapeutiques de ses eaux, la mer Morte est alors la station balnéaire incontournable du Proche Orient. Exploitée dès le Néolithique pour son asphalte (ou bitume de Judée), elle a pourtant perdu un tiers de sa surface entre les années 1970 et aujourd’hui, en raison de l’assèchement du Jourdain, de l’exploitation intensive de ses ressources et de l’évaporation des eaux engendrées par ces industries. La disparition accélérée de ce lac d’eau salée apparait comme un témoignage direct du réchauffement climatique global.
Avec la série Bleached [Blanchi] Erez Nevi Pana, designer israélien, exprime son engagement écologique, par un processus de création faisant appel à la cristallisation du sel. Pour créer ce tabouret énigmatique, il a collecté des morceaux de bois, qu’il a recouverts d’éponges loofah* puis assemblés à l’aide d’une colle végane. Il a ensuite immergé l’objet plusieurs mois dans la mer Morte jusqu’à ce qu’une gangue de sel cristallisé entoure sa production. Cette mutation du meuble par le sel permet à la fois de dénoncer le désastre écologique, et de sensibiliser l’univers du design à l’emploi de matières non animales.
Ce bassin aquatique, dont l’altitude est la plus basse du globe, est devenu le terrain de recherche d’Ilanit Illouz pour l’ensemble photographique des Dolines*. Photographiant gisements de sel et roseaux dans le vent dans la vallée de Wadi Qelt, elle immerge ensuite ses clichés dans un bain d’eau de la mer Morte. À la manière de strates archéologiques, cette couche cristalline évoque la longue histoire de la région. La photographe établit ainsi un parallèle entre l’exploitation du bitume de Judée et son usage au XIXe siècle par Nicéphore Niepce, inventeur de la photographie héliographique***.
Au large, l’espoir !
Les contextes politiques troubles et les dégâts provoqués par le changement climatique forcent de plus en plus de personnes à l’exil. À ce titre, l’horizon porte en lui les espérances de ces voyageurs en quête d’une nouvelle terre capable de les accueillir. Cependant ces traversées ne se font pas sans risques. À cette tragédie constante, notre société —bien que sur-informée — porte une attention pourtant insuffisante.
Marqué par la témérité des migrants, l’artiste bruxellois Charley Case a réalisé, lors d’une résidence au musée de Gravelines, une série de gravures mettant en avant les multiples dangers de ces traversées. Le mouvement est omniprésent dans sa démarche artistique et philosophique caractérisée par la présence de l’humain et de sa socialisation, ses déplacements et ce que cela engendre pour l’environnement.
Appréhendant ses productions en deux temps, Charley Case construit d’abord son œuvre sur un geste spontané, laissant parler son imaginaire, avant de reprendre la composition de laquelle ressortent des figures humaines. Ainsi, de frêles embarcations semblent lutter contre des eaux rageuses et tourbillonnantes, pareilles au corps d’un serpent de mer dont le crâne semble se confondre avec les canots. Empreint de l’espoir de ces voyageurs en quête d’un avenir meilleur, l’horizon n’en reste pas moins terrible et funèbre. Alors que le noir du carbone souligne les dangers d’une mer sans fond, pareil à un linceul, le blanc évoque la puissance des vagues capable de renverser les embarcations de fortune.
Les vacances se poursuivent sur le divan
Faire l’expérience de ce divan surprenant imaginé par la designeuse niçoise Stéphanie Marin (alias smarin) est plus que recommandé. Ces galets géants confortables et doux, comme polis par l’air et le vent ont intégré la collection du Frac en 2020. Chaque modèle a été acquis en deux exemplaires afin d’offrir à chaque visiteur l’occasion d’en faire l’expérience. Pouvant être assemblés en un paysage imaginaire, apaisant et spirituel, ce salon poétique offre la plus extravagante des plages.
La Relève, vidéo de 15 minutes, a été réalisée par Capucine Vever depuis le sémaphore du Créac’h de l’Île d’Ouessant.
Sur les images, seul l’horizon marin s’étend, calme, à perte de vue, conférant une sensation de sérénité. Dans un murmure sonore, l’artiste nous décrit les positions et les dates des passages de cargos, invisibles dans le champ de la caméra, tandis que le film se focalise progressivement sur l’architecture du phare. Créant une dissonance entre le récit et l’image, la voix de la narratrice nous rappelle l’activité incessante du trafic de l’économie mondiale. L’absence de ces navires à l’image est renforcée par l’écoute de leur présence fantomatique. La caméra, aussi bien que la narratrice, semblent — en vain — chercher ces bateaux dissimulés par l’étendu de l’océan, alors qu’ils sont paradoxalement présents par leurs marchandises dans la vie de chaque être humain.
Par un positionnement subjectif, depuis le phare, l’artiste réhabilite la posture du gardien, métier aujourd’hui disparu en raison de l’automatisation de la navigation fluviale. Telle une gardienne, la narratrice nous « révèle » la connaissance de ces présences maritimes, jouant avec le titre de l’œuvre, comme le signal d’une prise de conscience, une relève écologique.
L’exposition est réalisée en collaboration avec le musée du LAAC, le musée du Dessin et de l’Estampe Originale de Gravelines et le Musée portuaire de Dunkerque.
*Hito Steyerl, « En chute libre. Expérience de pensée sur la perspective verticale », in Formations en mouvement. Textes choisis, éd. Florian Ebner et Marcella Lista, Centre Pompidou, Paris, pp.51-70.
** Éponge en fibres naturelles confectionnée à partir d’une courge
*** Trous de sel créés par le retrait de la mer Morte
**** Technique photographique inspirée du procédé de l’eau forte
Date()s
17.09.2022 — 23.04.2023