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Hauts-de-France

LA PLAYLIST DE « CROQUE-COULEUR »

José Loureiro, Pop, 2016 © Adagp, Paris, 2024

Pour accompagner l’exposition, « CROQUE-COULEUR » de José Loureiro, Benjamin Mialot, programmateur des 4Écluses, vous propose une playlist réalisée comme une bande-originale. 

1. Acarien (2018)
🎵 DVA – 3 Level (2012)

Quel rapport entre un bouvreuil (un passereau chatoyant et fuselé dont l’une des six espèces est menacée d’extinction), un filament et un arceau ? Ce sont les trois mots-clefs qu’utilise José Loureiro pour caractériser son œuvre depuis le début de sa carrière – entamée bien avant que ne planent sur nos vies des nuages de hashtags, quel pionnier. Une œuvre donc vibrante, lumineuse, non-rectiligne et traversée par une certaine idée de la fragilité, à l’image de ces peintures à l’huile où la combinaison de lignes inspirées par la morphologie des insectes à de vifs aplats vaguement géométriques donnent naissance à des créatures irréelles et pourtant étonnamment crédibles. Elles auraient eu leur place dans le jeu vidéo Botanicula, petit bijou d’aventure imaginé par le collectif tchèque Amanita Design. On y guide cinq adorables bestioles forestières dans une quête semée d’humour, d’embûches et de tableaux au minimalisme chamarré, à la recherche de la dernière graine laissée intacte par l’infestation parasitaire qui ravage leur habitat. Signée par leurs compatriotes de DVA, duo électro-folk qui se targue de produire la musique traditionnelle de nations inexistantes, sa bande-originale déploie la même impression de mignonnerie microscopique.

2. Acarien (2018)
🎵 Amon Tobin – Lost and Found (2011)

Avec leurs couleurs surnaturelles et leurs appendices crochus, Les Acariens de José Loureiro ravivent en nous le souvenir d’autres insectes, authentiques cette fois : ceux qu’utilisent l’artiste londonienne Tessa Farmer dans ses installations. Leur traitement est toutefois nettement moins choupi que chez Amanita Design, et pour cause : elle y met en scène, avec le concours de véritables carcasses, ossements et autres racines, d’épiques combats entre des papillons, abeilles ou mouches et de minuscules fées squelettiques pleines de ressources – elles s’arment de dard, domestiquent des proies pour en attaquer de plus imposantes, bref on dirait les batailles de Fourmiz revues par David Cronenberg dans sa période body horror.  Un travail magnifié par sa collaboration avec le Brésilien Amon Tobin, ex-rabatteur d’hôtel devenu en une poignée d’albums conceptuels l’un des musiciens les plus inventifs de la scène électronique dite intelligente. C’était en 2011 pour la sortie de Isam, un disque qui l’a vu, comme à son habitude, repousser les limites de la bidouille (en synthétisant des prises de son en extérieur pour en faire des instruments à part entière, en dégenrant sa voix…) pour inventer la bande son d’un futur aussi mutant que splendide.

3. Acarien (2018)
🎵 Voyou – Les Insectes (2023)

Encore une chanson sur les insectes ? Ben oui, comparer les contours thoraciques et les nuances cuticulaires d’une quarantaine d’acariens, furent-ils non-figuratifs, ça prend du temps. Cette fois, leur prolifération accompagne l’abandon de toute forme d’hygiène et d’autonomie d’un homme mis plus bas que terre par le départ de son aimée. Quant à leurs couleurs et allures, elles trouvent un écho dans les arrangements chaleureux et chaloupés dont a le secret l’orfèvre pop lillois Voyou, dans sa fantaisie narrative, mais aussi dans la pochette de l’album dont est extraite cette chanson (Les Royaumes minuscules), sur laquelle coccinelles, fourmis et chenilles arpentent une maquette tout à fait bucolique.

4. Acarien (2018)
🎵 Weezer – All My Friends Are Insect (2010)

Allez, une dernière pour la route, courtoisie du groupe préféré de l’auteur de ces lignes. De loin, cela ressemble à une version amplifiée et anglophone d’une célèbre parodie des Inconnus. De près, c’est une énième démonstration que la power pop est au rock ce que la dixième satire de Juvénal est à la spiritualité antique – remplacez simplement « un esprit sain » par « des mélodies de ouf » et « un corps sain » par « de la grosse disto sa mère ».

5. Œil (2022)
🎵 Custard – Contemporary Art (2015)

Ailleurs dans cette pièce, José Loureiro considère que « dans l’espace concret d’une exposition l’usage de la musique représente [pour lui] une présence intrusive et inutile ». C’est un peu vexant, surtout de la part d’un homme qui dessine aussi bien les vinyles. Permettez-nous donc de lui opposer, le temps d’un pas de côté parfaitement mesquin, cette chanson de Custard, sur laquelle ces vétérans australiens du rock indépendant moquent la vacuité conceptuelle et la cupidité démesurée qui, parfois, pervertissent l’art contemporain. « Contemporary Art. Old fashioned business, It’s a shape,it’s distorted. The price is very very very important. » Et toc.

6. Pop (2016)
🎵 Abschaum – Chat noir (2022)

On a déjà croisé ce matou et son regard accusateur quelque part. Mais oui, c’était dans cette chanson du groupe lyonnais Abschaum, modèle de psychédélisme en cadence où le félin apparaît comme l’ange gardien de celles et ceux qui, dans leurs errances nocturnes, franchissent trop souvent la ligne blanche (dans tous les sens du terme). Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence, cela va sans dire.

7. Boson de L., une peinture (2011)
🎵 Atoem – Particles (2019)

La mécanique quantique, ça vous branche ? Non ? Pas de bol. Car l’heure est venue de vérifier si des années de lecture de journaux et sites scientifiques ont réussi à réconcilier votre serviteur, détenteurs de deux bacs S obtenus grâce à ses prestations dans les matières littéraires, avec les sciences dures. C’est parti – oui, vous avez bien lu, deux bacs S. Les bosons sont des particules élémentaires qui facilitent les interactions physiques de l’autre grande classe de particules élémentaires, les fermions, constitutifs de la matière. Pour le dire plus trivialement : les bosons sont la colle de la matière. Un atome est ainsi composé de fermions (ici les nucléons et les électrons) liés entre eux par les échanges de bosons. Ceci posé, on distingue plusieurs types de bosons, tous associés à l’une des quatre forces physiques fondamentales. Exemple : le photon est le boson de l’interaction électromagnétique, qui donne naissance à la lumière. Bien sûr, tout cela est un peu plus compliqué, notamment depuis la découverte récente du Boson de Higgs, qui a pour particularité de conférer une masse aux éléments avec lesquels il interagit – un rôle si crucial dans la formation des planètes, des étoiles et de la vie elle-même qu’il est surnommé « Particule de Dieu ». Et le Boson de L., dans tout ça ? Nonobstant cette œuvre monumentale éponyme, nuancier de 162 tons qui évoque autant un jouet sensoriel qu’une machine à diffracter le réel, on sait peu de choses à son sujet. Toujours est-il que ces histoires de champs, de particules et d’équations symétriques, le duo breton Atoem les a mises en musique en 2019, sur un bel EP de techno analogique et modulaire. Tout ça pour ça, oui…

8. Narcisse (2023)
🎵 Josman – Narcisse (2015)

Fils d’une nymphe et d’un dieu, Narcisse était, un jeune chasseur dont la beauté ne laissait personne indifférent. La suite est connue : s’abreuvant un jour à une source, il tombe amoureux de son reflet et, à force de se contempler, meurt d’inanition. Cette leçon de vie, d’une cruauté dont seule la mythologie grecque a le secret, ce boloss ne la retiendra même pas, continuant à s’admirer dans les eaux du Styx dès son arrivée aux Enfers. Si les personnages de José Loureiro adoptent des poses qu’on imagine peu en vogue à l’époque des faits relatés précédemment, leurs visages partagent avec le reflet dont Narcisse s’éprend son caractère mouvant et insaisissable. Il n’est pas interdit d’y voir des influenceurs.euses se contorsionnant pour sortir de l’anonymat. C’est ce que font aussi nombre de MCs, la vantardise étant l’un des exercices de style les plus répandus dans le rap – et la confiance en son propre talent une qualité essentielle pour y faire sa place. Ce petit jeu, baptisé ego trip, le dénommé Josman (sans doute le seul MC originaire du Cher que l’histoire retiendra, soit dit en passant) en a grimpé le podium dès son premier album avec ce titre on ne peut plus explicite.

9. Narcisse (2023)
🎵 Scepticflesh – Narcissism (1995)

Formé en 1990, le groupe Scepticflesh n’est lui non plus pas mal placé pour disserter sur les méfaits d’un amour propre exacerbé. Non seulement parce qu’il est grec, mais aussi parce qu’il évolue dans un registre friand de mythes et d’articulations suppliciées, à savoir le death metal symphonique qui, comme son nom l’indique, convoque le meilleur de deux mondes : la brutalité de la musique extrême et le lyrisme de la musique orchestrale. Bon, du haut de ces presque neuf minutes de riffs et grognements épiques, trente ans de progrès dans la production sonore nous contemplent, mais le cynisme qui les sous-tend n’a pas pris une ride : « Love, its purest form is narcissism ».

10. Synapse morte (2016)
🎵 Linea Aspera – Synapse (2012)

On connaissait les natures mortes, José Loureiro a lui inventé les synapses mortes. Des assemblages géométriques aux airs de cartes-mères qui seraient non pas l’expression d’une réflexion ou d’une subjectivité, mais le fruit d’un réseau neuronal incontrôlable. L’explication est plausible quand on sait, par exemple, l’effet disjoncteur que peut avoir un simple regard – ce n’est pas pour rien qu’on parle de coup de foudre. Cette sensation, les Londoniens de Linea Aspera, hérauts d’une musique qui doit d’ailleurs tout aux condensateurs et autres connecteurs à broches (la cold-wave), la retranscrivent ici parfaitement : « Don’t look at me, it hurts. The neurons have fired. A torrential surge through the optic nerves… I can’t find the words ». PS : en vrai, ces œuvres sont pour l’artiste une manière décalée de rejeter les interprétations trop cadenassées des critiques.

11. Sans titre (1995)
🎵 Television Personalities – Lichtenstein Painting (1992)

Peintre de la couleur et de la forme, José Loureiro a fait ses armes en agrandissant les points de trame qui quadrillent les portraits pop de Roy Lichtenstein (cf. citation, ailleurs à cet étage). Il n’est pas le seul à avoir trouvé une forme d’épiphanie dans l’œuvre du New-Yorkais. Ainsi The Television Personalities, groupe britannique aussi culte que confidentiel (pléonasme) qui offrit au très raide post-punk certaines de ses plus belles mélodies – et s’est un jour amusé à faussement créditer Andy Warhol, l’autre pape du pop art, sur un de ses enregistrements. cf. cette brève déclaration d’amour à une jeune femme à la beauté d’héroïne publicitaire.

12. Une famille comme les autres (2023)
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Kanye West – Family Business (2004)

On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille, mais on peut décider de ne pas filer plus loin cette célèbre rengaine pour aller à l’essentiel : la famille enferme autant qu’elle régénère – on parle après tout de « cellule » familiale. Une ambiguïté que synthétise cette récente série, à grands renforts de visages indistincts, de couleurs fanées et de titres plus ou moins sibyllins. Chez Kanye West, du temps où il n’était pas un modèle d’assimilation trumpiste, il suffisait de chœurs gospel, d’une ligne de piano nostalgique et de son flow inimitable pour raconter en quelques minutes une réunion de clan typique, entre questions de routine, disputes aux motifs tus et réconciliations de façade autour d’un verre de vin. Avec cette conclusion ancestrale, depuis dévoyée par une dizaine d’itérations d’une célèbre franchise cinématographique où biceps tatoués et carrosseries customisées se caressent et se heurtent dans d’invraisemblables gerbes d’essence et de testostérone : la famille, c’est la famille, et ses affaires ne regardent qu’elle.

13. Une famille comme les autres (2023)
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Orelsan – Défaite de famille (2017)

Hip-hop toujours, mais cette fois de ce côté-ci de l’Atlantique et le potard de la violence verbale poussé au max. On a tendance à l’oublier, mais avant de chanter la révolution avec l’inventivité d’un agrégateur de tweets, Orelsan fut l’un des plus talentueux et l’un des des plus féroces contempteurs de la France ordinaire, celle qui tâche de faire bonne figure lors de repas dominicaux plus minés que les plages de sa Normandie d’origine. Du tonton raciste à la cousine geignarde en passant par le papy mythomane, tout le monde finit réduit à l’état de cliché déchiré – peut-être est-ce pour ça que les personnages de José Loureiro ont un objectif à la place du visage ? « Puisqu’on est tous réunis ici, pour chanter « Les démons de minuit » / Manger d’la mousse de canard sur des blinis, danser sous les stroboscopes de Gifi / J’ai préparé un p’tit speech / Parce que j’dois vous avouer un p’tit détail de ma vie / J’déteste les fêtes de famille, wooh ». Comme toute personne sensée, non ?